Procès de la « mouvance d’extrême droite » : retour sur le fiasco
Le 14 décembre 2022, soir de la demi-finale France-Maroc, trente-huit militants néonazis sont interpellés à la sortie d’un bar, équipés d’armes de catégorie D, matraques télescopiques, fumigènes ou encore gants coqués. Ils étaient soupçonnés de vouloir se rendre sur les Champs Élysées pour en découdre avec des supporters marocains — ce qu’on appelle communément une « ratonnade ».
La préfecture de police, agissant vraisemblablement sur la base d’informations fournies par la DGSI, choisit ce soir-là une stratégie perdante : elle procède à des arrestations préventives — les intéressés sont coffrés à la sortie du bar avant que toute infraction soit commise. Sur quarante personnes, seules sept sont inculpées pour « participation à un groupement en vue de la préparation de violences volontaires à personne et destruction et dégradation de biens » et parfois « port d’armes prohibées ».
Pour ces sept-là, le festival continue : le parquet échoue à transmettre les documents de procédure aux avocats de la défense, et il s’avère que l’un des sacs à dos contenant des armes (élément de preuve crucial du dossier) n’a pas été placé sous scellé. Cerise sur le gâteau : le bar où ont été interpellés les individus ne se trouvait même pas dans le périmètre désigné par les réquisitions de la procureure de la République. Le jour du procès, toute la procédure est annulée et les suprémacistes blancs ressortent blanchis.
Ce qu’il faut retenir
La réaction naturelle serait de s’offusquer de ce qui ressemble fort à une justice à deux vitesses, alors que le procès de militants écologistes ayant participé à des rassemblements contre les mégabassines s’ouvre dans une ambiance bien différente. L’honnêteté nous contraint cependant à admettre que compte tenu des failles béantes du dossier, la justice n’avait guère d’autre choix que d’annuler la procédure. La police, dont on connaît la sympathie pour ce genre d’entreprise, porte l’entière responsabilité de ce désastre juridique. On ne saura sans doute jamais si ses choix douteux et fautes graves relèvent davantage de l’incompétence ou de l’acte manqué réussi — mais ACAB Press ne saurait en tout cas se formaliser de l’incompétence crasse des forces de police (nous la considérons axiomatique).
Il faut surtout souligner que les néonazis ont fait preuve d’une discipline redoutable lors de la préparation de leur opération, et que leurs interrogatoires en garde à vue avaient été soigneusement répétés. Détail anecdotique ? Pas vraiment. Il est possible que sans cette préparation, la police ait pu donner à son dossier une consistance suffisante pour résister aux divers vices de forme. Mediapart relate le déroulement de ces auditions, dont on mettra ici en exergue les faits saillants :
- Interrogés sur leur présence dans le bar, l’ensemble des militants d’extrême droite interrogés ont prétendu être là seulement pour regarder le match et ne pas connaître les autres. La police a noté le caractère systématique de ces réponses pour l’ensemble des personnes arrêtées.
- Ceux qui portaient des armes ont affirmé les avoir seulement à des fins d’autodéfense, de crainte d’être agressés. Quant aux cagoules et gants coqués, ils ne visaient qu’à protéger du froid.
- Plus intéressant, lorsque leurs téléphones sont examinés, ils semblent tous avoir désinstallé Telegram, qu’ils sont soupçonnés d’avoir utilisée pour se coordonner. Les enquêteurs, devenus accros à l’opium de la donnée, ne peuvent consulter l’historique des conversations et ne trouvent ainsi aucun élément à charge à ajouter au dossier1L’un des militants avait oublié de supprimer la messagerie, et faisait donc partie des sept prévenus renvoyés devant le tribunal..
Au lendemain de l’attaque d’un bar antifasciste parisien, le leader du groupe avait communiqué des consignes limpides : « Débarrassez-vous des sapes et chaussures que vous portiez ce jour-là, effacez votre historique GPS, effacez les messages échangés sur Telegram et autres« . En un mot comme cent, une sécurité opérationnelle efficace (pas parfaite, nous y reviendrons un jour), qui vise à limiter la création d’éléments de preuves numériques et impose de disposer d’un prétexte légitime pour justifier tous les comportements suspects.
Une attitude qu’on examinera à l’aune de celle du militant antibassines ayant posté sur Instagram un selfie avec un gilet pare-balles en costume de lapin rose — preuve embarrassante retenue contre lui au même titre que ledit costume, retrouvé à son domicile lors de la perquisition. On me rétorquera que les objectifs d’une manifestation écologiste imposent une certaine forme de visibilité et de communication. Sans doute. Toujours est-il que si la gauche radicale escompte réellement effectuer impunément des opérations de désobéissance civile, elle ferait bien de s’inspirer des victoires de ses ennemis jurés.