Paroles de flics

Paroles de flics

Une chose est sûre : les larmes de policiers ne manquent pas de sel. Un article du Monde publié aujourd’hui relate leur « sentiment d’injustice » et « malaise profond », tout en s’inscrivant dans (l’extrême) droite lignée de la couverture médiatique réservée à la marche contre les violences policières du 23 septembre. Effets de cadrage, absence de contradictoire, renversements… Puisque la parole policière est omniprésente, il ne nous reste guère d’autre choix que l’écouter.

« J’ai vu la peur dans les yeux de mes collègues. Et j’ai senti la bouffée de haine face à nous, l’intention de tuer. »

Stéphane, major, 52 ans

L’élément qui revient le plus est le fait que la peur a changé de camp. Si le journaliste rappelle à grand renfort de violons à quel point le métier de policier est difficile et dangereux, il omet de souligner le caractère symétrique de la situation. Les personnes subissant d’incessants contrôles d’identité de la police éprouvent la même peur, sont exposées à la même haine… et dans le cas de Nahel, une intention de tuer pour le coup suivie d’effets. L’objet n’est pas de légitimer ces comportements, quel que soit le camp duquel ils proviennent, mais de souligner un ré-équilibrage brutal de la relation peuple-police, par ailleurs bien résumée dans le titre : « De chasseurs, on est passé à chassés ».

« Je déteste quand on me traite de “pute à Macron”. Je suis là pour servir celui qui a été élu – j’ai fait Mitterrand, Chirac, Sarkozy et Hollande. »

Stéphane, major, 52 ans

Pour un corps globalement acquis à l’extrême droite, l’accusation est particulièrement douloureuse. Laquais des libéraux ? S’ils acceptent cette humiliation, c’est seulement au nom de l’intérêt supérieur du pays, mais l’idéal d’ordre qui structure leur imaginaire est impuissant à la laver. On en veut pour preuve la défense boiteuse donnée ci-dessus : suivant la définition donnée, Stéphane peut se targuer, au mieux, de n’avoir pas été que la « pute à Macron ». Le corps policier ne digère pas de servir de bras armé à un pouvoir que lui-même méprise ; faute de pouvoir le rationaliser, il s’enferme dans le déni. Tâchons de lui rafraîchir la mémoire à chaque occasion.

« Ce qui m’a frappé, c’est ce que m’ont dit des policiers sur le terrain. Tous, tous, tous ont dit : “On n’a jamais vu ça.” Même ceux confrontés à 2005. Ils ont tous été marqués par cette détermination chez les émeutiers à se préparer, à aller au contact des policiers pour faire mal. Les fois précédentes, s’il y avait contact, c’est en général les policiers qui en prenaient l’initiative. Là, ce sont eux qui sont venus. Ce qui était manifestement nouveau, aussi, c’est l’aspect coordonné et préparé de certaines actions. »

Frédéric Veaux, directeur général de la police nationale

Autre enseignement crucial : la police n’a pas l’habitude de perdre. Surarmée, employée quasi exclusivement à réprimer grands-mères et rassemblements pacifiques, elle semble manquer d’assurance face à un adversaire qui est en mesure de riposter. Plusieurs témoignages font écho au sentiment de peur exposé plus haut, ou évoquent un fort sentiment de démoralisation dans les messageries internes. La réalité rattrape tout le monde — c’est aujourd’hui au tour des policiers qui, malgré leur rhétorique viriliste et volonté affichée d’en découdre avec les « nuisibles », éprouvent de la résistance pour la première fois depuis des années. « La phrase qui est revenue sans cesse dans la bouche des collègues, c’est : “On a pris cher.” » — le sentiment de toute-puissance s’écroule ; les effets psychologiques sont dévastateurs. On retiendra que les victoires symboliques ont une importance majeure.

Être poulet, avoir le cafard

« La violence contre les policiers est de plus en plus prégnante. C’est pour eux un vrai abîme moral quant au sens de leur métier. Quand vous faites tous les jours un métier impossible, c’est dévastateur. Le moral décline de façon vertigineuse. Le problème, c’est que, aujourd’hui, faire appliquer la loi n’est plus acceptable socialement. »

Me Laurent-Franck Liénard, avocat familier des forces de l’ordre

Si l’avocat est dans son rôle, la dernière partie de sa déclaration constitue une déformation malhonnête de la réalité. La détestation de l’institution policière ne vient aucunement du fait qu’elle fasse appliquer la loi, mais plutôt de ce qu’elle s’y emploie avec une brutalité excessive et dispensable — quand elle n’échoue pas à s’y soumettre. Le journaliste du Monde se serait honoré à rappeler que les émeutes récentes trouvent leur origine dans un tir qui a justement valu de la détention provisoire à son auteur.

« Émotionnellement, on fait un métier difficile. C’est lourd. On est confronté à une accumulation de violences et de souffrances. Quand j’entends les slogans “la police tue”, “la police mutile”, ça fait mal. »

X., brigadier-chef, 43 ans

« Le choix de devenir policier est un choix de vocation, insiste son président, Benoît Briatte. Quand on les montre du doigt, ils le vivent mal. C’est comme une famille, elle se retrouve ensuite dans un sentiment commun de vivre une injustice. »

Benoît Briatte, directeur de la Mutuelle générale de la police

Enfin, le manque de reconnaissance semble blesser tout particulièrement les policiers. Pour le comprendre, il faut se replonger dans cet article sur le mythe de l’enquêteur qui analysait la manière dont les forces de l’ordre s’imaginent le dernier rempart contre le chaos. Et si la haine de la gauche radicale les renforce, celle de la population générale les désoriente. Si le métier de policier est une « vocation », celle de protéger ses concitoyens, alors pourquoi ceux-ci éprouvent-ils de la haine en lieu et place de gratitude ? Sauf à s’imaginer qu’ils nous protégeront malgré nous, la dissonance cognitive est inévitable.

« Cette idée que les émeutiers et les forces de l’ordre soient mis sur le même plan, les policiers ne le supportent plus. Ils ont raison, cela crée un sentiment d’injustice alors même qu’ils sont en première ligne dans la crise d’autorité que vit ce pays. »

Laurent Nuñez, préfet de police

Dans la continuité des propos factieux portés par les syndicats, ce que remet en cause Nuñez ici est ni plus ni moins l’égalité devant le droit. Piquant : les policiers ne supportent plus d’être tenus aux règles mêmes qu’ils sont tenus de faire appliquer. Le paradoxe ne s’arrête pas là. Eux qui s’enorgueillissent d’avoir choisi un métier difficile au nom de la défense du pays, ils appellent désormais de leurs vœux la rupture avec un principe constitutionnel tellement fondamental qu’il a été immortalisé dans la devise nationale.

C’est bien qu’ils n’ont jamais vraiment aimé la France.
Seulement le pouvoir.