Retour sur la grève du JDD — une configuration perdant-perdant

Retour sur la grève du JDD — une configuration perdant-perdant

La poussière est retombée sur la grève qui a agité la rédaction du Journal du Dimanche, suite à la nomination de Geoffroy Lejeune à sa tête. Les forces de l’argent ont gagné et la droite dure empaille un nouveau trophée médiatique. Le 6 août paraissait la première édition du « JDD 2.0 », dont la une énumérait les nouveaux thèmes de prédilection : « insécurité, justice » — une véritable profession de foi. Sans surprise, le contenu s’inscrit dans la ligne idéologique des parutions déjà bollorisées (se référer à l’autopsie sur Mediapart). Bref : le JDD est perdu pour la cause.

La quantité réglementaire d’atermoiements expédiée, interrogeons-nous : de quelle cause s’agissait-il, au juste ? Car pour le camp de la gauche radicale, la question du JDD recelait un caractère épineux. Acrimed a chroniqué au fil des années les contributions de l’hebdomadaire au débat public : démobilisation des mouvements sociaux, service après-vente des contre-réformes gouvernementales, pourrissement du champ électoral… Certains se plaisent désormais à décomposer l’acronyme JDD en « Journal D’extrême Droite », ou « Journal de Droite Dure ». Ils oublient ce faisant sa signification originale : « Journal Déjà Droitisé ».

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Mauvaises options

Gênés aux entournures, nous ne savions donc sur quel pied danser. S’il est impossible de se réjouir que l’extrême droite ait mis la main sur un nouveau pied de biche pour forcer la fenêtre d’Overton, pouvions-nous pour autant prendre la défense d’un journal d’extrême centre ? Ou, pour le dire autrement, fallait-il faire barrage — terme choisi à dessein — à des conséquences en allant soutenir leurs causes ? Peut-être valait-il mieux considérer cette séquence comme une lutte interne aux forces procapitalistiques. Elle ne nous concernait en rien.

Car quelles étaient les issues possibles ? Ou bien le JDD devenait une énième usine à mélasse identitaire, ou bien la rédaction préexistante obtenait gain de cause et redorait son blason d’un vernis révolutionnaire. En cas de victoire, le JDD aurait été intronisé en tant que héraut de la presse libre — position depuis laquelle il aurait immédiatement repris ses activités de sape. La situation actuelle laisse au moins espérer un monde où, hémorragie de lecteurs aidant, l’hebdomadaire sombre lentement vers la non-pertinence voire l’auto-destruction.

Mais les travailleurs ? rétorquera-t-on. Sans doute méritaient-ils notre solidarité ? Au risque de paraître froid, je parviens tout juste à rassembler assez de bienveillance pour leur souhaiter de tirer de cette expérience davantage de compassion envers leurs camarades grévistes à l’avenir, où qu’ils travaillent par la suite. On méditera collectivement sur cette citation célèbre :

Quand les nazis sont venus chercher les communistes, je n’ai rien dit, je n’étais pas communiste.
Quand ils ont enfermé les sociaux-démocrates, je n’ai rien dit, je n’étais pas social-démocrate.
Quand ils sont venus chercher les syndicalistes, je n’ai rien dit, je n’étais pas syndicaliste.
Quand ils sont venus me chercher, il ne restait plus personne pour protester.

Martin Niemöller